Quelques résultats de l'expérience d'Auto'trement
mis à jour le 8/02/03

1. Présentation de la restitution
Ce texte est l'occasion d'un premier bilan sur les investigations en cours. Il est issu d'une première série de 15 entretiens qui se sont déroulés du 24 au 30 avril 2002 auprès des responsables et d'adhérents de l'association Auto’trement. Il s'inscrit dans une recherche plus large considérant les expériences françaises d'auto-partage afin de préciser les conditions d'implantation de ce concept et l'influence qu'il peut avoir sur les comportements de ses adhérents.
Ce texte est organisé en trois sections :
La première fait un récapitulatif du contexte de la Communauté Urbaine de Strasbourg.
La seconde relate la création d'Auto’trement.
La dernière traite plus spécifiquement des adhérents.


2. Contexte : une politique de la ville jugée propice
La politique de la ville développée par la Communauté Urbaine de Strasbourg constitue un terrain idéal pour l'implantation de l'auto-partage.
Sept points peuvent caractériser le contexte de la Communauté Urbaine de Strasbourg.

1. Le réseau de transports en commun et les pistes cyclables sont denses et efficaces. Ces réseaux constituent une alternative viable à l'utilisation de la voiture individuelle. Cette pluralité incite la population à les utiliser, l'offre crée la demande dans certaines proportions. De nombreuses études affirment que la densité du réseau de transports en commun est indispensable au développement de l'auto-partage. Une bonne offre de transport en commun permet de répondre favorablement aux besoins de déplacements vers son lieu de travail. Or, les trajets domicile-travail sont très souvent structurants de l'usage de la voiture sur l'ensemble de la journée. Cette utilisation quotidienne et récurrente légitime la possession d'une voiture. Un réseau dense et efficace de transports en commun avec par exemple les parc-relais permet de briser cette logique et pousse à l'intermodalité (utilisation de plusieurs modes de transports lors d'un même déplacement) dans un premier temps, puis à un comportement multimodal (utilisation de plusieurs modes de transport pour se déplacer). Tous ces éléments constituent une situation favorable à l'auto-partage.

2. La fermeture du centre-ville de Strasbourg implique une forte contrainte pour les possesseurs de voiture. Cela les pousse à envisager d'autres manières de gérer leurs déplacements. Pour certains, cette réflexion va jusqu'à la renonciation à la propriété du véhicule pour bénéficier de celui partagé. Dans tous les cas, les contraintes liées à la possession d'une voiture en centre-ville étant trop élevées, la proportion de personnes n'ayant pas de voiture augmente. Or les premiers adhérents de l'auto-partage sont souvent ceux qui ne possèdent pas de voiture, trouvant dans ce système la réponse à leur besoin ponctuel de voiture.

3.
Le pendant de l'interdiction aux voitures individuelles de circuler au centre-ville est que le cadre de vie s'améliore, ce qui encourage la pratique de modes de transports alternatifs à la voiture individuelle, comme le vélo ou la marche à pied. Les citadins sont plus attentifs et exigeants quand au respect de leur cadre de vie et plus enclins à accepter des innovations comme l'auto-partage pour le préserver.

4.
La population est sensibilisée aux problèmes de déplacement par de nombreuses informations et incitations de la Communauté Urbaine de Strasbourg, comme par exemple le comité citoyen pour définir le projet d'agglomération 1998-2010. Les initiatives telles que la Vélocation, et la location de voitures électriques permet également à la population d'avoir accès à des modes de transports étendus. L'innovation en matière de transports urbains comme l'auto-partage a donc d'autant plus de chances de s'implanter.

5.
La promotion de l'auto-partage de la part de la Mairie, les aides ponctuelles pour obtenir des places de parking PARCUS, et les subventions diverses ont permis l'émergence de l'auto-partage à Strasbourg.

6.
La réputation du dynamisme de la Communauté Urbaine de Strasbourg en France donne une légitimité supplémentaire au projet d'Auto'trement. Cela permet de bénéficier de subventions et de soutiens d'organismes nationaux comme l'ADEME (Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie).

7.
Enfin, la Communauté Urbaine de Strasbourg facilite les échanges avec le Comité des Transports de Strasbourg. L'exemple le plus récent et le plus emblématique est la formule d'abonnement conjointe transports en commun – auto-partage. Pour 38 euros par mois (au lieu de 34 euros pour un abonnement standard), les Strasbourgeois ont accès aux services de la Compagnie des Transports Strasbourgeois (CTS) et d'Auto'trement.
Mais si la Communauté Urbaine de Strasbourg semble propice à l'implantation du concept d'auto-partage, l'initiative personnelle semble indispensable comme le montre le bref historique d'Auto’trement.


3. Historique : émergence d'un système d'auto-partage à Strasbourg
Cet historique de l'expérience d'auto-partage fourmille de renseignements sur les conditions et le contexte nécessaires à la réussite de l'émergence d'un tel concept dans une ville de moyenne importance comme Strasbourg. Nous les exposerons brièvement en fin de cette section.

Auto’trement est né de la rencontre de Michèle Maltese et de Jean-Baptiste Schmider, l'actuel responsable d'Auto’trement. L'une avait l'idée, l'autre l'envie de la concrétiser. Ils donnent l'impulsion pour la création de l’association Auto’trement en octobre 1999. Une douzaine d’habitants de Strasbourg et de la Communauté Urbaine se regroupent avec pour ambition de promouvoir un nouvel usage de l’automobile en ville, plus respectueux de l’espace et de l’environnement. L'objet initial de l'association était de réunir les habitants du centre-ville afin qu'ils réfléchissent pour eux-mêmes à une utilisation plus raisonnée, voire à une autre utilisation de leur automobile.

L'association s'est d'abord constituée autour du cercle d'amis et de connaissances de Jean-Baptiste Schmider. La création de l'association débouchera sur l'exploitation du concept d'auto-partage. Le cercle d'amis va s'enrichir d'autres personnes, elles aussi séduites par le concept d'auto-partage. Le relais médiatique va se faire relativement vite. Le rôle des médias est important pour le lancement d'Auto’trement. Cela a permis de sortir de l'anonymat. Les médias locaux (DNA, France 3 Alsace, etc.) ont pris le relais du bouche-à-oreille et sont, du fait de leur influence, parmi les grands promoteurs du concept. Jean-Baptiste Schmider saura fédérer les compétences et choisir ses interlocuteurs pour concrétiser l'idée de l'auto-partage.

Le système d'auto-partage voit le jour à Strasbourg début 2001 avec l'achat de trois voitures. Le système était rustique : un coffre à code près des voitures renfermait toutes les clés. Pour les réservations, les bénévoles à tour de rôle s'en chargeaient. Ils emportaient avec eux le téléphone portable de l'association avec le planigramme des réservations. Aujourd'hui, le système de prise en main et de réservation est professionnel et permet de répondre aux attentes des 220 adhérents avec 16 voitures reparties sur 7 stations.
Bien qu'anecdotique, cette histoire brève de la création d'Auto’trement permet de dégager des similitudes avec d'autres expériences d'auto-partage.
Effectivement, il se dégage des nombreuses expériences à l'étranger et des investigations déjà menées que le développement de l'auto-partage est conditionné par sept points :

1. Un bon réseau de transports en commun comme celui de la Communauté Urbaine de Strasbourg, dense et efficace, renforcé par de nombreuses pistes cyclables et zones piétonnières. Ils constituent une alternative viable à l'utilisation de la voiture particulière.

2. Un groupe d'initiateurs motivés et impliqués, donnant de leur personne pour concrétiser le projet.

3. Un initiateur du projet avec un esprit d'entrepreneur. Il va structurer le projet, le faire sortir du cercle de connaissances pour toucher un plus large public. Convaincu du concept, cet initiateur voit très tôt la nécessité de structurer le système comme une société de service.

4. Un soutien des pouvoirs publics, d'abord en favorisant l'usage collectif plutôt que l'usage individuel des voitures, ensuite en signant des accords pour favoriser l'intermodalité entre les transports en commun et l'auto-partage, enfin en apportant une aide au démarrage, par leur contribution à l'installation des infrastructures, ou par une contribution financière.

5. Le système a besoin de partenaires financiers et de subventions pour démarrer. Le système d'auto-partage est basé sur un investissement lourd, à caractère capitalistique. La structure doit en effet acquérir des véhicules et les entretenir. Or, pour se développer, elle doit dépasser la taille critique de quelques voitures pour paraître comme une solution de mobilité crédible tant pour les pouvoirs publics que pour les clients potentiels.
Le rôle des collectivités locales et des organisations nationaux dans l'apport financier pour dépasser cette taille critique semblent incontournables en France. L'initiateur a un rôle primordial dans cette recherche de fond.

6. Un relais efficace de la part des médias locaux, voire nationaux. La prise en charge de la communication par les médias permet de vulgariser le concept auprès des futurs utilisateurs et d'interpeller les transporteurs locaux et les gestionnaires de parkings.

7. Une population urbaine faisant le choix de ne pas posséder de voitures particulières. C'est dans cette catégorie de personnes que l'auto-partage trouve ses premiers adhérents et ses premiers prescripteurs.

Il semble que ces ingrédients soient indispensables pour que l'auto-partage se développe et se pérennise sur le sol français. Il reste cependant à déterminer si toutes les conditions sont listées ici et quelles sont les plus importantes. La suite des investigations menées répondra à cette question et permettra d'affiner ces conditions, notamment par rapport aux contextes dans lesquels se développent les projets d'auto-partage.Si vous avez des remarques, n'hésitez pas à réagir.


4. L'auto-partage et ses utilisateurs strasbourgeois.
L'auto-partage apparaît être plus qu'un simple service de transport inédit et complémentaire avec ceux existants. Même si les personnes adhérant à Auto’trement le font pour des motifs différents, l'influence de ce système sur leur comportement modal et la façon de se représenter la ville semble important. L'auto-partage peut aussi (et surtout pourrait-on penser) s'avérer être un instrument de sensibilisation et de changement comportemental.

Mais avant d'aborder l'influence de l'auto-partage, détaillons rapidement le profil-type de l'auto-partageur et ses motifs d'adhésion.

Qui est l'auto-partageur ? Un militant, un client ?
Nous pouvons dresser un profil type des premiers adhérents de l'auto-partage. Issu de la catégorie intellectuelle supérieure, ces primo-adhérents n'ont pas besoin d’une voiture professionnellement. D'ailleurs ils n'en veulent pas, bien qu'ayant les conditions matérielles leur permettrant d'avoir une voiture. Pour eux, la voiture ne correspond pas à leur mode de vie et à leur philosophie. Mais surtout la voiture individuelle est pour eux source de contraintes. Ils se déplacent autrement, habitant près d’un réseau de transports. Aussi, ayant besoin ponctuellement d'une voiture, ils adhérent à l'auto-partage, système correspondant parfaitement à une attente de leur part, à défaut des loueurs traditionnels. De plus, ils adhérent volontiers puisque cela correspond à une certaine idée qu'ils se font de la ville et de l'utilisation de la voiture. On retrouve l'enthousiasme pour ce concept chez la plupart des adhérents de la première génération d'Auto’trement.

Cependant, un glissement s'opère avec le temps et la montée en puissance de l'association. Le profil des premiers adhérents à Auto’trement était nettement composé de militants écologistes ou d'un réseau de personnes proches des associations de quartier qui trouvent dans le concept d'auto-partage une logique avec leurs prises de conscience ou leurs convictions. Issue de la catégorie intellectuelle supérieure, il s'avère pour le cas d'Auto’trement, que la majorité de ces personnes soient du milieu enseignant. Au fur et à mesure qu'Auto’trement se développe, le profil type des nouveaux adhérents se modifie pour laisser place à des clients, consommateurs d'un service fourni par Auto’trement.
Les premières personnes qui avaient adhéré avaient une histoire commune dans le monde associatif. Les nouveaux adhérents veulent un service irréprochable.

Pourquoi l'adhésion ?
Les motifs d'adhésion sont de deux ordres : soit pour des raisons pratiques et fonctionnelles, l'adhérent recherche avant tout le service ; soit pour des mobiles de convictions personnelles, l'adhérent se dit alors en conformité avec ses valeurs. Cependant, dans la réalité, ces deux motifs sont souvent indissociablement liés : on adhère car le concept est valorisant, mais aussi parce qu'il y a un avantage matériel à le faire.
Les arguments développés à l'adhésion sont les suivants : le prix, la disponibilité, la souplesse, la proximité, la simplicité ; l'argument environnemental vient comme un plus. On constate une évolution des motifs d'adhésion de l'argument militant vers celui d'accès à un service. Cela relève d'un changement de typologie des personnes recrutées ; ces nouveaux clients n'adhérant plus pour des motifs altruistes du respect du cadre de vie mais pour bénéficier d'un service qui correspond à une demande concrète de leur part.

L'auto-partage induit-il une utilisation moindre de la voiture ?
Deux types d'adhérents peuvent êtres différenciés : ceux qui avaient une voiture avant d'adhérer à l'auto-partage, et ceux qui n'en avaient pas.
Pour les personnes avec voiture, l'auto-partage induit une remise en question des modes de fonctionnement antérieur et contribue à la découverte d'autres modes de transports que la voiture individuelle. On assiste donc à un report modal et à une baisse notable de l'utilisation de l'automobile.
Pour les personnes sans voiture, on assiste à une rationalisation accrue des déplacements. Le recours à la voiture partagée pallie à des besoins précis et ponctuels d'une voiture particulière. En ce sens, l'auto-partage est un complément aux transports en commun.
Cependant, il faut préciser que les adhérents à l'auto-partage ne considèrent pas ce système comme contraignant. Au contraire, il leur permet de découvrir d'autres moyens de transport répondant au mieux à leurs besoins et leurs attentes. Ils considèrent l'auto-partage –à contrario de la voiture particulière– comme un facteur de liberté, un accès à une mobilité accrue. Paradoxalement, l'auto-partage contribue à la réduction de l'utilisation de la voiture individuelle mais pas de la mobilité en général.

L'auto-partage permet-il de découvrir d'autres façons de se déplacer en ville ?
Pour bon nombre de citadins, il n'est pas évident que l'on puisse se déplacer en ville sans voiture. L'adhésion à l'auto-partage permet à ses membres de pallier à ce doute. Dans les premiers temps, puisque par la suite, ils apprennent vite à se déplacer sans les voitures d'Auto’trement, nous venons de le voir.
Mais l'adhésion à l'auto-partage concorde souvent avec un changement de comportement modal plus ou moins souhaité par les adhérents. Ce changement de comportement nécessite un apprentissage. Cette "vision du déplacement" ne s'acquiert que par expérimentation. Le processus qui conduit à ce changement peut être schématisé ainsi : adhésion pour des raisons militantes, économiques et pratiques à Auto’trement. En même temps que les adhérents sont confrontés aux contraintes liées au système d'auto-partage (se rendre au parking, payer à l'usage, réserver, ramener la voiture à une heure et à un point précis), ils découvrent d'autres moyens de transport qui leur permet de recomposer leur mobilité différemment. Ils utilisent de moins en moins les voitures d'Auto’trement, ils le font uniquement quand la voiture est le seul moyen de transport possible.

L'auto-partage facilite-t-il le changement de comportement ?
L'auto-partage permet de changer de mode de déplacement sans renoncer de façon abrupte à l'utilisation de la voiture. Ce changement de comportement et la possibilité de pouvoir comparer les différents modes de transport avec l'auto-partage permettent aux personnes de se rendre compte par elles-mêmes de l'utilité de la voiture en ville et des inconvénients qu'elle engendre. Cette prise de conscience, inédite pour certains, fait suite à une réévaluation des contraintes. Effectivement, dans un système de comportement attaché à l'utilisation quasi exclusive de la voiture particulière, les autres modes semblent très contraignants. Or, lorsque les personnes apprennent à moins utiliser la voiture particulière, elles constatent que les contraintes sont également distribuées entre les différents modes de transport à leur portée. Chaque mode est alors utilisé pour ce qu'il a de plus efficace, de moins contraignant pour l'utilité visée. Une fois la réorganisation faite, les contraintes liées à chaque mode de transport sont acceptées, incluses dans ce système de fonctionnement. Par la suite, l'auto-partage incite à une utilisation moindre et raisonnée de la voiture particulière et pousse à la multimodalité.


Conclusion.
Bien que cela puisse paraître au premier abord contradictoire, les arguments en faveur de l'auto-partage sont inséparables d'une remise en cause de la suprématie de l'automobile, comme mode de transport dominant et comme mode tendant à exclure les autres.
L'expérience d'Auto’trement nous montre que l'auto-partage permet de sensibiliser durablement les adhérents en contribuant à modifier ou à accompagner les changements de comportements modaux en faveur des modes alternatifs à la voiture individuelle.

Aussi, l'auto-partage contribue à diminuer l'utilisation de la voiture en offrant à ses adhérents la possibilité de découvrir d'autres moyens de transport que la voiture, sachant toutefois que l'auto-partage constitue pour eux une solution d'appoint puisqu'ils ont toujours accès à une voiture. On peut postuler que l'auto-partage contribue à une véritable évolution des mentalités quant à la mobilité, en général, et celle automobile, en particulier. Concernant les changements de comportement et les reports modaux, l'auto-partage semble être un facteur les favorisant, sinon les initiant.

Dans tous les cas, l'expérience d'auto-partage strasbourgeoise donnent la preuve qu'une action individuelle à justification économique (j'adhère à l'auto-partage pour payer moins, pour ne pas à avoir à acheter une voiture, etc.) et/ou sociétale (pour ne pas avoir de contraintes, de soucis, pour ne rien avoir à me reprocher par rapport à mes convictions, etc.) est compatible avec des effets collectifs comme la décongestion du trafic et l'utilisation raisonnée des voitures individuelles. On peut même augurer que l'impact de l'auto-partage sur les comportements modaux va plus loin en faveur d'une ville durable en sensibilisant les usagers à sa préservation.

Sébastien Noguès